Nous pensons toutes (un peu) la connaitre. Et nous avons toutes (un peu) raison. Car Ines de la Fressange et l’image que l’on se fait d’elle sont parfaitement alignées. Un régal de femme qui dit oui rapidement à ma demande d’interview, qui se raconte sans chichis, qui rit beaucoup, sans minauder, parce que la gaité est une forme de politesse. Ines ponctue ses phrases de « Ca, ça s’apprend ». Comme si les tours du destin avaient ciselé la détermination et renforcé l’intuition. L’écouter, c’est prendre confiance et faire plus simple dans tous les domaines de l’existence. L’écouter c’est avancer, légère et le nez au vent, sans trop craindre le lendemain. Et ça, ça s’apprend.
Depuis quel âge travaillez-vous ?
Depuis l’âge de 18 ans.
Jeune, rêviez-vous d’un métier en particulier ?
Après avoir lu Françoise Dolto, je voulais devenir pédopsychiatre ! J’aimais dessiner mais je ne pensais pas que cela pouvait se transformer en travail.
A l’heure de vos premiers jobs en tant que mannequin, aviez-vous une idée de ce vers quoi ce métier vous mènerait ?
En commençant à être mannequin, je voulais être dilettante, faire parfois quelques photos et poursuivre mes études. En réalité, c’est impossible d’être mannequin ponctuellement et difficile de reprendre ses études lorsqu’on est entré dans la vie active. Néanmoins, j’ai toujours su que ce n’était pas un métier comme les autres et qu’il était par essence provisoire. Etonnement, j’ai continué à faire des photos jusqu’à il n’y a pas très longtemps mais disons que c’est très atypique !
Je n’imaginais pas pouvoir devenir styliste moi-même. C’est Karl Lagerfeld qui me l’a suggéré. Moralité : le potentiel est essentiel mais la confiance en soi se gagne aussi grâce aux autres.
Avez-vous toujours su que vous évolueriez dans un univers créatif, ou les choses se sont-elles simplement enchaînées comme cela?
Mes parents avaient un grand respect pour tout ce qui était créatif, invitant même parfois des artistes désargentés à habiter chez nous. Personnellement, j’ai commencé à suivre des cours d’histoire de l’art pour mes études supérieures mais ce choix était plutôt une erreur : des études d’arts appliqués auraient été plus adaptées. Plus tard, en travaillant dans la mode et particulièrement au studio Chanel, je n’imaginais pas pouvoir devenir styliste moi-même, bien que je participais énormément. C’est Karl Lagerfeld qui me l’a suggéré. Moralité : le potentiel est essentiel mais la confiance en soi se gagne aussi grâce aux autres.
Vous êtes aujourd’hui plein de choses à la fois, mannequin, ambassadrice, styliste, auteure, chef d’entreprise. Quel est le trait-d’union entre ces différents métiers ?
L’inconscience probablement ! (rires) Plus sérieusement, je pense que c’est l’audace, le goût pour l’imagination, le refus de certains codes établis et le désir de sincérité et de bon sens. J’ai toujours l’impression d’être autodidacte, mais le temps m’a appris à être à l’écoute de mes intuitions.
Il émane de vous une légèreté ultra communicative, qui laisse à penser que tout vous arrive sans effort. Parlez-nous de votre rapport au travail. Etes-vous une bosseuse, une contemplative, une voyageuse ?
J’ai toujours l’impression de ne pas travailler assez. Mon assistante en rigole à chaque fois ! En réalité je donne beaucoup, je travaille vite, je décide très rapidement aussi et le tout avec parfois trop de spontanéité.
Comment se déroulent vos journées de travail ?
Chaque jour est différent puisque je travaille autant pour Roger Vivier, Uniqlo, Ines de la Fressange Paris, Flammarion ou ma newsletter. Il m’arrive donc de travailler pour chacun de ces univers dans la même journée. Disons que souvent, je travaille le matin à la maison pour tout ce que je peux y faire, préparation de moodboards, photos pour ma lettre, mails, et je réserve l’après-midi pour des rendez-vous en ville ou à mon bureau. Parfois, ce sont des essayages à mon atelier ou des séances photo en studio ou encore des voyages professionnels. Pas vraiment de routine donc et une organisation aléatoire… Dans cette cacophonie, je réserve des pages blanches dans mon agenda pour les urgences de dernière minute qui sont hélas fréquentes. Il faut donc prévoir l’imprévisible !
Se reposer, partir en vacances, perdre du temps, lire, traîner, se promener, fait partie du parcours créatif. C’est essentiel pour moi. Je crois en la sérendipité !
Avez-vous parfois besoin de décrocher totalement où vos différents projets vous accompagnent-ils toujours et partout ?
Je crois que lorsqu’on est styliste cela ne s’arrête jamais : on a toujours une idée, quelque chose qui vous inspire, un désir mais ce n’est pas antinomique avec le « décrochage ». En clair, se reposer, partir en vacances, perdre du temps, lire, traîner, se promener fait partie du parcours créatif et c’est essentiel pour moi. Je crois en la sérendipité !
Aujourd’hui, votre nom est un label qu’on s’arrache. Quelque chose de singulier et de très fort à la fois. Quand avez-vous pris conscience que votre personnalité pouvait, de fait, s’incarner dans un mode de vie, des vêtements, des objets, un livre ou une boutique ?
Je me suis toujours appliquée à ne pas être trop consciente de mon image ou de ce que je pouvais représenter. Cela afin de garder une espèce d’équilibre mental. Mais un jour, un copain dans le café en face de l’école de mes enfants m’a vivement conseillé de faire un livre. « La Parisienne » est devenu un best-seller mais aussi une sorte de surnom pour moi. (rires)
Un surnom qui peut emprisonner parfois? Avez-vous droit à la relâche, à des jours « sans » ?
Je pense que le « sans » fait partie de mon image : donner l’impression que je suis comme toutes les femmes même si ma vie est assez privilégiée. J’ai souvent le sentiment que les femmes peuvent facilement s’identifier à moi car je n’ai jamais donné une image de perfection glamour et lointaine. En réalité, souvent les gens dans la rue ou dans les boutiques me disent qu’ils trouvent que je ressemble terriblement à Ines de la Fressange !
Vous êtes très sollicitée. Comment choisissez-vous vos différents projets ?
L’expérience m’a apprise que tout dépend des gens. On peut imaginer toutes sortes de produits mais cela dépend avec qui. Néanmoins, je me pose quelques questions avant : Est-ce rigolo ? Pour qui, pourquoi le faire ? Suis-je prête à trouver du temps pour ça ? On met une vie à apprendre à dire non mais ça donne au oui encore plus de valeur.
Etes-vous très entourée ?
Oui. À la maison déjà où j’ai une employée tous les jours. Et cela serait impossible sans. Chez Uniqlo où tout un studio travaille à temps complet au Japon et m’apporte tout à Paris pour les séances de travail. Chez Ines de la Fressange Paris où chacun se donne à fond en faisant plusieurs choses très différentes comme dans une start-up. Et chez Roger Vivier, j’ai une assistante qui travaille avec moi depuis 35 ans et qui me connaît mieux que moi-même (rires). Pour la lettre, je la fais avec ma meilleure amie ce qui simplifie tout. Je suis entourée de gens épatants, je le réalise chaque jour.
Mon parcours n’a pas du tout été fluide. Je peux vous citer mille exemples qui démontrent que ce qui semble cohérent aujourd’hui ne l’était pas du tout à l’époque où j’ai pris mes décisions.
Comment choisissez-vous vos collaborateurs ?
Souvent, ce n’est pas à moi de choisir car j’ai des contrats avec les employeurs, mais je peux suggérer des noms : cela dépend de leurs qualités professionnelles bien sûr, mais aussi humaines. Je suis très fidèle aux personnes que j’aime bien, stylistes, coiffeurs, maquilleurs, photographes. Ca rend le quotidien plus gai et facilite incroyablement les tâches.
Plus généralement, qu’est-ce qui vous nourrit, où puisez-vous l’inspiration au quotidien ?
Je ne sais pas !
Vu de l’extérieur, il y a quelque chose de fluide et de cohérent dans votre parcours.
Ca me réjouit que vous me disiez cela. Pourtant c’est bien le contraire qui est arrivé ! Quand mannequin, j’ai voulu me couper les cheveux tout court, on me disait que mon succès était lié à cette coupe au carré avec laquelle je posais sur les publicités Dior cosmétiques. Lorsque j’ai choisi de signer un contrat d’exclusivité totale pour Chanel, tout le monde trouvait que c’était une idée absurde d’interrompre ma carrière « classique » de mannequin à ce moment-là. Quand j’ai accepté de relancer la marque Roger Vivier, ce n’était pas pour être styliste, mais consultante, un changement d’emploi total pour moi. Quand j’ai commencé à dessiner la collection Uniqlo, au moment même où je relançais ma propre marque, c’était totalement inattendu… Enfin, je pourrais vous citer mille exemples qui démontrent que ce qui est évident aujourd’hui ne l’était pas au moment où j’ai pris mes décisions.
Mais avez-vous connu des périodes de doutes, de questionnement, des pauses que vous n’auriez pas choisies ?
Oui. Je pense que souvent les femmes ont l’impression d’être illégitimes ou pas à la hauteur du travail demandé. Décider de partir de chez Chanel, c’était un risque, j’ai traversé une période de réflexion et d’hésitations. Mais j’ai aussi connu le chômage après avoir été licenciée abusivement de la société qui portait mon nom dans les années 90. Aujourd’hui aucun emploi n’est un CDI et personne n’est considéré comme irremplaçable. Cela paraît violent mais c’est comme ça. Toutes ces difficultés enrichissent, renforcent et on doit atteindre une forme de sérénité et de lâcher prise pour pouvoir continuer.
D’abord, je dois dire qu’on a le droit d’aller mal ! Il faut accepter une bonne fois pour toutes que l’on n’est pas parfaite, qu’on a des fragilités, des faiblesses et des grands coups de mou. L’accepter, se confier, le formuler est essentiel.
Comment rebondit-on dans ces moments-là ?
D’abord, je dois dire qu’on a le droit d’aller mal ! (rires). Il faut accepter une bonne fois pour toutes que l’on n’est pas parfaite, qu’on a des fragilités, des faiblesses et des grands coups de mou. L’accepter, se confier, le formuler est essentiel. Ensuite relativiser et faire la liste de ses priorités sont d’une grande aide. Se dire : Suis-je en bonne santé ? Et mes proches, ceux que j’aime ? Déjà, tout va mieux. L’être humain a tendance à toujours voir ce qui ne va pas et jamais ce qui fonctionne. La peur du futur est hélas un réflexe. Il faudrait au contraire se dire : pour le moment, là, à l’instant, tout va bien. Craindre l’avenir ne sert à rien. Bon, c’est facile à dire mais c’est un véritable exercice. La méditation peut aider. Personnellement j’ai eu beaucoup de chance mais j’ai su la saisir aussi. Donc attention à savoir reconnaître le bonheur, le constater avant de le regretter.
Dans un contexte actuel mouvementé, parlez-nous de votre rapport aux hommes dans le travail. Certaines femmes influentes me disent avoir eu à lutter constamment contre une forme de discrimination. Et d’autres, le contraire. Dans la mode ou les affaires, avez-vous eu à subir cette inégalité ou en avez-vous été totalement protégée ?
Aujourd’hui, où il est important de défendre la cause des femmes et d’être consciente des problèmes qu’elles rencontrent, comme les disparités de salaire, le harcèlement, la discrimination, je ne peux pas vous dire « Non, non, il n’y a aucun problème ! ». Mais sincèrement, personnellement, je n’en ai pas rencontré. Les hommes d’affaires mettent du temps à me prendre au sérieux car je ponctue mes phrases de blagues et que j’ai une parole directe et spontanée. Mais très vite, ils comprennent que j’ai raison. Sauf les idiots ! Il est pourtant certain que de nombreuses femmes doivent jongler avec la garde des enfants, la double journée, la charge morale.
Il faut s’habiller, non pas pour séduire, mais pour se sentir mieux : c’est de cette façon que l’on est le plus séduisante !
Le vêtement peut-il alléger cette charge et booster la confiance en soi ?
Oui Madame, et c’est même mon boulot ! Il faut s’habiller, non pas pour séduire, mais pour se sentir mieux : c’est de cette façon que l’on est le plus séduisante.
Pour finir, quel conseil donneriez-vous aux filles qui travaillent et pour qui la recherche de la tenue matinale vire au casse-tête ?
Vous voulez dire à toutes les femmes ?! (rires) Et bien de se débarrasser de tous les vêtements qu’elles n’aiment pas vraiment, de les donner à une œuvre humanitaire, à leur cousine ou de les jeter à la poubelle. Avoir trop n’aide pas. Ensuite, il ne faut pas hésiter à avoir des choses très simples car finalement le matin, il est toujours plus évident d’enfiler un pull bleu marine qu’un caraco imprimé à la coupe créative d’un styliste illuminé !
Pour clôturer l’interview, Ines nous offre quelques conseils style et lifestyle à retrouver ici.
Ines de la Fressange vient de publier Les Parisiens avec sa co-auteure Sophie Gachet aux Editions Flammarion.
Rendez-vous avec l’univers d’Ines de la Fressange Paris, 24 rue de Grenelle, 75005 Paris et sur la boutique en ligne
Interview réalisée par Marianne Ripp
Photographies: Alessandra d’Urso
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