Dans Conversations

Delphine DRUTEL : La belle humaine

Delphine est Directrice Générale de Rosapark, l’une des agences de publicité les plus créatives de la place. Aux côtés de ses trois fondateurs, elle gère directement une dizaine de grands comptes ( les marques OUI de la SNCF, Aigle, GRDF, Bonduelle, Lapeyre etc.) et manage 120 collaborateurs. Une tête bien faite pour cette bosseuse diplômée de l’ESSEC, mais surtout une vraie nature, précieuse et singulière.

Delphine et moi nous connaissons depuis plus de 10 ans et tandis que nous échangeons sous la verrière de son loft de Vincennes, son humanité et sa transparence m’épatent encore. Delphine est une fille ancrée, qui se souvient d’où elle vient, aime le mot « juste » et qui place l’humain tout en haut de ses valeurs cardinales. À l’heure où les lignes bougent, où les aspirations et les usages changent, rencontre avec un caractère déjà taillé pour le monde d’après.


Pour celles qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter et nous dire ce que tu fais dans la vie.

Je suis Delphine, je suis maman d’une petite Joséphine qui a 5 ans et je viens de Saint-Etienne. Je suis Directrice Générale de l’agence Rosapark qui rassemble environ 120 collaborateurs.

C’est drôle, tu évoques Saint-Etienne directement, en te présentant !

Oui, c’est un marqueur très fort pour moi. J’ai grandi à Saint-Etienne puis à Montbrison dans la Loire. Mes grands-parents étaient paysans agriculteurs, des ouvriers avec des valeurs travail et famille très ancrées. J’ai des souvenirs incroyables de cette époque. Mes vacances c’était faire les foins, garder les vaches, ramasser des myrtilles, faire le marché le samedi matin. J’ai grandi avec des parents qui croyaient au travail et à l’école. Mon père n’a pas eu la chance de passer son bac. À 16 ans, il est allé travailler au Crédit Agricole et y a fait toute sa carrière, et Maman était une institutrice passionnée.

Chez toi, il fallait donc travailler avant tout.

Oui. Toute petite déjà, j’ai compris que quand on avait de bonnes notes, on te foutait la paix ! Je crois que mon parcours a beaucoup été drivé par ça. Travailler dur et bien, pour avoir une liberté de choix dans mon métier, dans la ville où j’allais vivre. Bien gagner ma vie pour ne dépendre de personne. Ma grand-mère m’a tellement répété cette phrase.

« Toute petite déjà, j’ai compris que quand tu travaillais bien, on te foutait la paix ! Je crois que mon parcours a beaucoup été drivé par ça. »

Elle était donc féministe !

Je l’ai réalisé tard, quand elle est partie. Elle était femme de ménage dans les bureaux de notaires du coin. Enfant, je trouvais ça génial ! Elle a passé son permis de conduire alors que ça ne se faisait pas, elle a vécu une enfance difficile, mais en croyant dur comme fer qu’on s’en sortait par le travail. Je l’ai vu pleurer le jour où j’ai décroché mon bac avec mention très bien, comme mon père d’ailleurs. Je la revoie avec son petit tablier, ses économies pour m’acheter mon premier ordinateur Toshiba ! J’étais un peu sa revanche. (Delphine porte non-stop autour du cou la médaille de sa grand-mère). Pourtant pour moi, ce n’était rien, j’avais déjà en tête la prépa, l’école de commerce, et si possible une parisienne !

D’où te venait cette ambition ?

J’ai toujours eu le goût du challenge, l’envie d’aller voir plus loin, de ne pas me contenter de ce que j’avais. Et puis, il y avait aussi l’idée de quitter Saint-Etienne, de voir autre chose. Quand tu as fait dix fois le Musée de la Mine et celui de la poupée, ça va ! L’image de mon père m’impressionnait. Aujourd’hui ça me fait sourire mais avec mes yeux d’enfant, je le voyais directeur d’agence, j’étais hyper fière. Il était beau, il portait un beau costume. Ca me tirait vers le haut !

Des études de commerce s’imposaient ?

J’étais très bonne élève. J’ai surtout voulu m’orienter vers des choses qui n’enfermaient pas. Prépa à Lyon, et puis l’ESSEC. J’ai l’ouverture et la liberté chevillées au corps ! Mais chez moi, on était un peu ignorants de tout ça. Ça a pu nourrir un mini complexe chez moi, notamment au moment où j’ai débarqué à Paris.

« J’ai adoré l’ESSEC. Pour une provinciale comme moi, les profs te saluaient, tu étais considérée. Le réseau est incroyable. Aujourd’hui, je pourrais tutoyer Gilles Pélisson ! »

Mais il t’a construit ce complexe !

Totalement. Quand je me présente, je dis toujours que je viens de Saint-Etienne. C’est mon ancrage. Et dans ce milieu, c’est important. Il faut savoir d’où on vient car on est dans un métier de valeurs, d’authenticité. On parle aux vrais gens et on travaille pour eux.

Tu as aimé tes études de commerce ?

J’ai adoré l’ESSEC, ça a été une chance incroyable dans ma vie. Sa position de challenger vis-à-vis d’HEC qui pousse à se dépasser. Et puis les profs étaient des pontes, ils te saluaient dans les couloirs. Tu étais considérée. Pour une provinciale comme moi, le réseau était incroyable, une vraie famille, on se tutoyait tous. Aujourd’hui, je pourrais tutoyer Gilles Pélisson !


J’ai réalisé en préparant l’interview que je ne savais pas trop ce que tu avais fait juste après l’ESSEC !

C’est normal, tout n’est pas très académique ! Je suis d’abord partie 6 mois à San Francisco. Puis j’ai rejoint des amis dans une aventure entrepreneuriale. C’était l’époque des start-up, on apprenait en marchant, ça a été incroyablement formateur. J’ai aussi fait du théâtre au cours Florent ! Je voulais essayer des choses. Mais j’ai été très vite rattrapée par la réalité. Manger des pâtes dans une chambre de bonne, ce n’était pas pour moi. J’avais envie de challenges, de projets, de choses plus tangibles. Je me suis retrouvée un peu hors cadre, malgré un CV fleuri ! J’ai eu quelques propositions et de fil en aiguilles via le réseau, je suis rentrée chez Young & Rubicam sur des sujets de communication corporate. Je n’y connaissais juste rien ! Mais j’y suis allée au culot, et j’ai atterri au « new biz ». Je manquais de confiance en moi et le chemin a été long.

Tu as su pourtant faire ton trou et t’intégrer ?

Oui, la dimension commerciale m’a beaucoup motivée. Je n’ai pas peur de perdre mais j’adore gagner et je l’assume. Je suis une vraie compétitrice. Je prenais tous les sujets que personne ne voulait surtout les sujets santé. Au final, j’ai construit un bon petit socle de comptes. J’y suis restée 7 ans.

« La dimension commerciale m’a beaucoup motivée. Je n’ai pas peur de perdre mais j’adore gagner et je l’assume. Je suis une vraie compétitrice. »

Et tu rejoins Rosapark …

Oui, au départ pour m’occuper d’un budget global, Thalys, que tu connais bien ! La première année a été très dure car j’étais très orientée satisfaction clients et moins création. J’ai pris en pleine tête l’importance de l’idée créative avec Gilles et Jeff qui sont de grands patrons de création et qui ont su me faire confiance. Il y a eu un déclic et aujourd’hui, c’est là que je prends le plus de plaisir : vendre de grands et beaux projets de création.

À quoi ressemblent les journées quand on est Directrice Générale d’une agence en vue ?

Aucune journée ne se ressemble ! Mais globalement, je fais trois choses. La première c’est de m’occuper des clients. J’ai un large portefeuille de comptes très différents qui vont de GRDF, Aigle, aux 3 marques SNCF (OUIGO, Oui.SNCF, TGV Inoui) en passant par Bonduelle, Saint-Hubert, et plus récemment Lapeyre. Je définie avec eux des stratégies de communication, j’essaie de trouver le maximum d’idées créatives pour rendre leurs projets impactants. Ensuite, je m’occupe des gens qui travaillent à l’agence. J’en prends soin, j’essaie en tout cas, car c’est un métier dur et intense surtout quand on est junior. Enfin mon troisième job, c’est le « new biz », la prospection, le développement, le réseau.

« Quand tu vends des billets pour Thalys, tu ne te dis pas que tu fais quelque chose d’exceptionnel. Mais quand tu te dis que tu fais prendre le train aux gens plutôt que l’avion ou la voiture, ça change un peu tout. »

Dirais-tu qu’aujourd’hui plus que jamais, il faut mettre du sens partout dans ce qu’on fait ?

C’est ce que j’essaie de faire depuis toujours ! Tu es bien placée pour le savoir : quand tu vends des billets pour Thalys, tu ne te dis pas que tu fais quelque chose d’exceptionnel. Pourtant, quand tu te dis que tu fais prendre le train aux gens plutôt que l’avion ou la voiture, ça change un peu tout. Et quand tu te dis ensuite que la transition énergétique, ce n’est pas juste de l’électricité, portée par un lobby surpuissant, mais que c’est aussi du gaz vert produit à partir de déchets organiques, qui en plus permet d’améliorer la vie des agriculteurs, et bien là, on est dans une toute autre dimension. Mon métier c’est de faire savoir tout ça, d’une belle façon.

C’est ce que tu aimes dans le métier d’agence ?

Oui, ce métier fait grandir. C’est un milieu où l’analyse stratégique, qui donne lieu à un insight, qui donne lieu à une idée créative, peut faire des merveilles ! J’aime ce métier car il me procure de l’émerveillement. Se dire qu’on arrive à résoudre des problèmes, à donner du sens avec des idées créatives, avec du sourire, de l’émotion, c’est juste dingue. Et aujourd’hui, ce qui se passe avec la prise de conscience des marques, la réflexion autour de la raison d’être, de la responsabilité, des sujets RSE, cette révolution est aussi structurante que ce qui s’est passé avec le digital il y a 15 ans !

« C’est un milieu où l’analyse stratégique, qui donne lieu à un insight, qui donne lieu à une idée créative, peut faire des merveilles ! »

Quels sont pour toi les grands enjeux des agences sur toutes ces questions ?

Sous l’impulsion des consommateurs qui ont compris que leur carte bleue avait plus de poids que leur carte d’électeur, les marques ont le pouvoir et le devoir de changer le monde. Il faut qu’elles le fassent en modifiant leur manière de produire, la façon dont elles incitent à la consommation, les représentations homme-femme, l’éducation etc. En tant que publicitaires et communicants, on est là pour trouver les idées qui vont accélérer la prise de conscience de ces métamorphoses. Aujourd’hui, on a le droit de parler de vulve à la télévision. Et c’est bien de montrer que les règles, c’est rouge et pas bleu !  Nous ne sommes plus uniquement porteurs de messages liés à la consommation, mais on devient porteurs de messages liés à la planète, à l’avenir, à l’environnement, aux nouveaux usages.

Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ton métier ?

L’émerveillement devant un objet créatif. Vingt ans après, je reste bluffée ! Ensuite, c’est la force du collectif. Chez Rosapark, on est des passionnés, des artisans. On m’a proposé des boites beaucoup plus grosses et que je respecte infiniment. Mais en termes de culture, ça ne colle pas. J’ai besoin de famille et d’aventures humaines, c’est ce qui me fait me lever le matin. Ici, on ne fait pas de claquettes, on est très proches de nos clients, on bosse main dans la main, on les appelle, on va les voir, on est dans le dur, c’est dans notre ADN, on est comme ça.

Et ce que tu aimes moins ?

La perte de temps et d’énergie peut être usante, surtout pour les plus jeunes. Et puis, je n’aime pas le fait qu’on ne parvienne pas, parfois, à vendre de très belles idées à leurs justes valeurs. On subit une pression de dingue, on sort des choses fortes, et il y a parfois un manque de respect au regard du travail abattu.

« Si j’ai dû me battre, c’est contre mes démons. Les femmes doutent plus. Il y a des siècles de subordination dernière nous. Notre avis ne compte juridiquement que depuis 70 ans. »

À la direction de l’agence, tu travailles avec des hommes. As-tu senti que tu devais te battre plus ?

Très honnêtement, ce sont toujours des hommes qui m’ont fait confiance ! Si j’ai dû me battre, c’est contre mes démons. Nous doutons plus. Il y a des siècles de subordination dernière nous. Notre avis ne compte juridiquement que depuis 70 ans ! Il faut aller chercher les choses. Mon job de DG, je suis allée le chercher. On ne me l’aurait peut-être pas donné, ou pas tout de suite, si je ne l’avais pas demandé. Je l’ai demandé parce que je pensais que je le méritais. J’élève ma fille comme ça : si tu veux quelque chose, tu te bas pour l’avoir. On est souvent nos propres ennemies parce qu’on nous a élevé dans le « savoir-faire » plutôt que dans le « faire-savoir ». Il faut lutter contre ça.

Tu te sens féministe ?

Je crois à un féminisme d’action : par exemple la mixité, c’est 50/50, pas 45/55. Il faut être juste, dire les choses, ne pas avoir peur. Les mecs se foutent davantage de répondre à côté à une question, alors que nous en sommes mortifiées. Il faut se débarrasser de tout ça ! Savoir s’imposer sans fuir le conflit, accepter la confrontation, croire en son avis. Au quotidien, mon rôle de manager, c’est de transmettre ça aux filles de l’agence.

« Je crois à un féminisme d’action. Les mecs se foutent davantage de répondre à côté à une question, alors que nous en sommes mortifiées. Il faut se débarrasser de tout ça ! »

À ce sujet, je me souviens que dès ton premier jour chez Rosapark, tu as posé tes limites.

Oui, dès le premier jour ! J’avais une pièce de théâtre le soir, et on m’a demandé de rester pour finaliser un sujet, qui en plus n’était pas le mien ! Je venais d’arriver, je me suis dit: tu fixes la limite maintenant sinon tu es foutue! (rires) J’ai donc refusé poliment, en disant simplement que j’étais attendue au théâtre. On m’a regardé bizarrement, mais je suis comme ça. Je ne lis pas mes mails en vacances. Je travaille rarement le soir et jamais le week-end. J’ai besoin de couper pour me ressourcer. Au quotidien, je suis ultra concentrée et je travaille de manière assez intense dix à douze heures par jour. Je pense que c’est suffisant.

Quel type de manageuse es-tu ?

Je pense être humaine et bienveillante. Et je crois que rien n’est dû. Personne ne bosse jusqu’à minuit parce que c’est normal. Je pense que toute action, tout effort, tout petit point marqué, toute petite campagne vendue méritent un merci et un bravo. Je crois au management de considération, de proximité, de bienveillance. Je dis beaucoup merci ! Pour autant, je suis super exigeante : si tu as des problèmes ou des difficultés je suis là, mais tu es responsable de ton sujet. Il faut de la confiance, des mots, de l’écoute avec les équipes comme avec les clients.

Quels sont tes trucs pour t’organiser ?

Beaucoup d’anticipation au quotidien, pour le perso comme pour le pro. J’ai un mari génial ! On s’organise super bien. À l’agence, les garçons (Jean-Patrick, Gilles, Jean-François, les fondateurs de Rosapark) ne m’ont jamais fait ressentir que j’étais maman. Ils m’ont toujours donné les mêmes responsabilités.

Quels sont tes trucs pour décompresser ?

Je ne suis pas du tout angoissée par nature. Je ne sauve pas des vies, je bosse dans la pub ! Au quotidien, j’essaie juste d’alléger le travail. J’ai lâché l’approche très scolaire : les 100 slides qui ne servent à rien, les puces rondes et pas carrées ! J’essaie d’être pragmatique, de toujours me demander quel est le bon livrable. Parfois, c’est juste de l’oral ! Pour décompresser, j’ai besoin de faire autre chose : je nage, je marche, je joue avec ma fille. Mais surtout, j’ai besoin de nature, de mer, de vert, de me reconnecter au vivant. Ces énergies-là sont essentielles pour moi.

Quel est ton plus beau succès et ton plus bel échec ?

Je ne raisonne pas du tout comme ça. De tout façon, dans ce métier, c’est toujours le collectif qui l’emporte dans un sens comme dans l’autre. J’adore cette phrase de Mandela qui dit « Je ne perds jamais, soit je gagne soit j’apprends ». Pour moi, la fierté n’est pas moteur. En revanche, prendre du plaisir, créer de la joie, c’est important. Quand je gagne une compétition, j’aime prendre les gens dans mes bras, partager, me dire qu’on va faire des choses incroyables ! Oui, je suis très sensible à la joie.

Où te vois-tu dans 10 ans ?

Je me demande plutôt quelle personne je voudrais être. À priori, je ne me vois par ailleurs que chez Rosapark, mais je voudrais être celle que je suis, non pas « en mieux » mais « en plus » ! Je vois bien le chemin que j’ai parcouru dans tous les domaines. Je me souviens de moi débarquant à Paris avec mon petit tailleur saumon à épaulettes, mon Dieu ! Je veux que ça continue à bouger, haut et fort. Vivre toujours plus d’émotions collectives, d’aventures humaines, artistiques, engagées. J’espère être encore plus libre !

Interview réalisée par Marianne Ripp.

Photographies : Marion Leflour.

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