Dans Conversations

Marie-Claire CAPOBIANCO : Une femme puissante

Patronne   des   réseaux   France   de   BNP   Paribas  et  membre  du   comité  exécutif  du  groupe,
Marie-Claire Capobianco mène de front une carrière exigeante et un engagement très fort en faveur des entreprises et de l’entrepreneuriat féminin en particulier.

A la tête d’une organisation générant 6 milliards de chiffre d’affaires, cette femme puissante s’est posée un moment pour nous raconter son exceptionnel parcours, concentré de détermination et d’audace.

Derrière le regard acier et l’impeccable tailleur bougainvillier, un léger accent méridional pointe encore, les mains parlent, et lorsque Marie-Claire Capobianco nous dit que ce qui compte pour elle avant tout c’est l’humain, nous n’avons aucune difficulté à la croire.


Bonjour Marie-Claire. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous dire en quoi consiste votre métier.

Je dirige les réseaux France de BNP Paribas aujourd’hui. De manière plus pragmatique, je dirige une entreprise commerciale comme une autre, qui a des clients et qui se doit de les satisfaire, de leur apporter des réponses, de les servir, de les garder, de les développer. Je fais donc du commerce mais à grande échelle puisque nous réalisons 6 milliards de chiffre d’affaires et rassemblons 28 000 collaborateurs.

Ce qui me frappe, y compris dans les interviews que j’ai pu lire de vous, c’est que vous en parlez comme de votre entreprise.

Tout à fait, et j’ai toujours fait cela. Bien sûr, nos activités se font dans des cadres très régulés avec beaucoup de contraintes, mais oui, il s’agit d’une entreprise que je dirige avec un esprit d’entrepreneur. Je l’ai toujours considérée ainsi et c’est essentiel pour moi. Cela implique qu’on ne peut pas se défausser et que l’on est responsable de ce que l’on fait. Je trouve mon plaisir dans cette responsabilité-là. Sans jamais me mettre de butoir.

Quel type d’équipes managez-vous ?

Des commerciaux, des manageurs, des fonctions supports et régaliennes, je dirige une communauté nombreuse, diverse, à qui il faut communiquer une vision suffisamment claire et enthousiasmante pour donner envie, pour donner confiance, dans un esprit de service du client. Nous sommes là pour financer l’économie au sens large, pour accompagner les entreprises dans leur transformation, mais surtout pour accompagner nos clients dans la réalisation de leurs projets, dans toutes les dimensions qui touchent aux cycles de vie. Je fais un travail de leadership qui consiste à fédérer autour de ces missions, à accompagner les équipes pour les mener à bien. De par leur nombre et leur localisation géographique, nos collaborateurs représentent toute la société française.

Ma carrière, c’est un hasard total. Je ne l’ai pas
du tout voulu. Je ne crois pas d’ailleurs aux
carrières programmées, vous savez, à ceux qui
y pensent « en se rasant le matin ».

Revenons un peu en arrière pour comprendre. Racontez-nous votre parcours, vos études et comment au fond tout ça a commencé.

Complètement par hasard ! Je n’ai pas fait d’études supérieures au sens académique du terme. Ce que je voulais absolument, c’était être psychanalyste. Je trouvais passionnant de comprendre les mécanismes qui font réagir, je m’étais nourri de nombreuses lectures adaptées. J’ai donc commencé médecine. Et puis je suis tombée amoureuse ! Mais je voulais par-dessus tout être autonome. J’ai eu mon bac à 16 ans, et j’ai très vite souhaité m’assumer. Tous ces éléments ont coïncidé à me faire entrer dans la banque. J’ai eu cette opportunité, je l’ai prise, sans aucun plan de carrière.

Un métier un peu éloigné de la psychanalyse ?

Oui et non. J’ai commencé en accompagnant les clients dans leurs projets immobiliers. On touche à l’intime quand on fait cela. Ce sont les projets d’une vie. J’ai trouvé dans ce métier la dimension humaine qui résonnait avec ma vocation initiale. Puis, j’ai découvert les entrepreneurs en devenant chargée d’affaires pour des PME et je me suis prise de passion pour cet univers. J’ai pourtant commencé en finançant un projet qui a été un échec complet !  Mais ces gens passionnés, qui défendent leurs idées, se battent, ces gens toujours dans l’énergie, qui savent surmonter les difficultés et rebondir, tout cela résonnait beaucoup en moi. Plus tard, j’ai découvert le modèle patrimonial de l’entrepreneur, les histoires familiales, la transmission de témoins de génération en génération. Ces sujets m’ont beaucoup touché. L’humain est essentiel dans mon métier.


Vous êtes un modèle de construction de carrière. Racontez-nous comment vous vous y êtes prise.

C’est un hasard total. Je ne l’ai pas du tout voulu. Je ne crois pas d’ailleurs aux carrières programmées, vous savez, à ceux qui y pensent « en se rasant le matin ». Je crois que pour faire une carrière, il faut avant tout avoir un socle en quelque sorte, un socle de compétences et une vraie capacité de travail. Ensuite il faut beaucoup de détermination. La détermination, ce n’est pas atteindre tel ou tel poste. La détermination, c’est avancer et faire, avec beaucoup d’engagement. Être toujours dans la dynamique de poursuivre, envisager les risques comme des opportunités. Si vous êtes dans cet esprit-là, déterminé, engagé, avec ce socle essentiel dont je parlais, si vous êtes attentifs et ne considérez rien comme impossible, alors vous réalisez que le chemin est bordé de portes entre-ouvertes. Ces portes, ce sont des opportunités. Tout le monde en a. Il faut juste les voir.

Pensez-vous que c’est à chacun qu’il revient de créer ses propres opportunités ?

Non, il faut simplement être en position de les voir pour ne pas passer à côté. Une carrière c’est un croisement entre des opportunités, la confiance que vous suscitez chez ceux qui sont en mesure de vous confier des missions, la détermination que vous mettez à y arriver.

Si vous êtes attentifs, alors vous réalisez que le chemin est bordé de portes entre-ouvertes. Ces portes, ce sont des opportunités. Tout le monde en a. Il faut juste les voir.

Tout le monde n’a pas confiance en soi…

Être déterminé, ça ne veut pas dire avoir une confiance à toute épreuve ! J’ai souvent eu des doutes, de gros doutes même parfois. Quand j’ai pris la direction de la Banque Privée France, c’était une start-up, où tout était à construire. Le jour où l’on m’a proposé de diriger cette branche, je n’avais objectivement aucune des compétences pour le poste. Mais intérieurement, je savais qu’il n’y avait pas de raison pour que je n’y arrive pas. On n’a jamais toutes les compétences et toutes les connaissances pour démarrer un poste, il faut être déterminé.


Justement, quand on est une femme, et que l’on travaille dans un univers très masculin, comment affirme-t-on sa détermination ? Faut-il toujours aller plus loin que sa feuille de route ?

Au top niveau, oui, la banque est un monde masculin. Mais dans son ensemble, ses métiers sont plutôt féminins. Moi, j’ai été la première femme à intégrer le comité exécutif du groupe mais aussi la première à assurer du business et pas une fonction. Est-ce que cela a été plus difficile ? Je n’ai pas eu ce sentiment. Je suis très engagée dans l’accompagnement des femmes et j’essaie d’analyser ce qui se passe. Ce qui est certain, c’est qu’il faut un tempérament très marqué pour avancer.

Vous connaissez la pression, comment la gérez-vous ?

La pression est forte mais je crois bien la gérer. Je n’ai jamais connu de moments où je ne sois pas capable de prendre la bonne distance. Quand j’ai eu des difficultés, j’ai toujours su me projeter dans l’après. Je reste concentrée pour analyser la situation, dépasser le problème et je pense à l’après. Derrière un moment compliqué, il y a un « autre chose » et cet autre chose sera un moment forcément plus agréable. Et puis en cas de problème, il faut se dire qu’on n’est pas seul, déléguer, s’appuyer sur ses équipes. C’est essentiel.

Je sais profiter très intensément de tous petits instants. Je peux m’émerveiller quelques secondes du scintillement de l’eau sur la Seine. Ces instants fugitifs me comblent.

Comment décompressez-vous ?

Je sais profiter très intensément de tous petits instants. Ils sont courts car je suis assez prise, mais je sais gouter, savourer l’instant. J’ai la chance d’habiter Paris. Quand je pars ou rentre chez moi, je passe par des endroits somptueux dont je ne me lasse pas, la Tour Eiffel, le Petit Palais, la Seine.  Je peux m’émerveiller quelques secondes du scintillement de l’eau et cela contribue à recharger mes batteries. Ces instants fugitifs me comblent.

A quoi ressemble l’une de vos journées de travail ?

Je me lève à 6h depuis toujours et chaque matin, mon mari et moi prenons notre petit déjeuner ensemble. Nous tenons à partager chaque jour ce moment-là. Je quitte la maison à 7h20. J’ai le confort d’avoir un chauffeur et ce trajet en voiture est un moment de « préconcentration ». Si j’arrive au bureau, je prends un café avec un adjoint, j’essaie de croiser les gens qui sont là. Ensuite j’enchaine à un rythme soutenu. Je ne vois pas passer les journées. Je rentre vers 21h quand je n’ai pas de dîner de travail, car j’en ai aussi beaucoup !

Dans ce milieu masculin, vous affichez une allure incroyablement féminine.

Oui, et c’est très assumé, c’est une volonté ! Je suis toujours en tailleur jupe et en talons. Je n’ai jamais fait de compromis là-dessus. Non seulement je porte des couleurs vives mais j’attache aussi de l’importance aux matières raffinées. Je ne m’interdis absolument rien, y compris les paillettes ! C’est moi, c’est comme ça.

L’échec pour moi, ça ne veut pas dire grand-chose. Les choses sont en mouvement, elles avancent, évoluent, et finissent souvent par se régler. Il n’y a pas d’échecs mais des difficultés à surmonter.

Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir dans le travail ?

Sans aucune hésitation, les rencontres humaines, avec les clients et avec les équipes. Mon plaisir, c’est la rencontre. Je fais bien sur plein de choses passionnantes mais pour moi, l’humain est essentiel.

Quelle est votre plus grande fierté professionnelle ?

La banque privée. Après la fusion de BNP et de Paribas, on m’a demandé de créer ce nouveau métier que serait la banque privée. C’était un vrai modèle de start-up. Il fallait créer ce nouvel état d’esprit tout en travaillant avec les agences. Ça s’est formidablement bien développé, et cela a été pour moi une grande fierté. J’ai ensuite adapté le modèle dans les 13 pays où nous étions présents à l’époque, de la Belgique aux États unis en passant par la Turquie ou l’Égypte. ce fut incroyablement riche, une expérience fabuleuse.

Quel est votre rapport à l’échec ?

L’échec pour moi ne veut pas dire grand-chose. Ça n’existe pas, car je ne crois pas aux situations figées. Les choses sont en mouvement, elles avancent, évoluent, et finissent souvent par se régler. Il n’y a pas d’échecs en tant que tels mais des difficultés à surmonter. Par contre, je connais la frustration, vouloir aller plus vite, plus loin, plus fort, ça oui, c’est quotidien !

Avez-vous du arbitrer, sacrifier des choses à cette carrière très prenante ?

J’ai arbitré une immensité de choses ! Mais de manière très assumée. En remettant à plus tard, pour les jours où j’aurai plus de temps. J’ai soif de savoirs, l’envie de comprendre des tas de choses dans les domaines scientifiques, technologiques, économiques. J’adore le cinéma, la lecture, les voyages, la contemplation !

Rappelons 2 chiffres : 30 à 35% seulement des femmes entreprennent et quand vous passez aux entreprises de plus de 10 salariés, on tombe à 10%.

Vous êtes très engagée dans l’entrepreneuriat féminin. En quoi cette cause est importante et vous tient-elle autant à cœur ?

Pour être précise, je m’implique dans trois dimensions spécifiques liées à l’entreprise : l’entrepreneuriat innovant, l’entrepreneuriat féminin et l’entrepreneuriat à impact, qu’on appelait avant social et solidaire. L’entrepreneuriat féminin fait partie de ces thèmes que je porte avec intensité tout simplement parce qu’il est sous représenté. C’est très factuel. Rappelons 2 chiffres : 30 à 35 % seulement des femmes entreprennent et quand vous passez aux entreprises de plus de 10 salariés, ou à des univers comme la tech, on tombe à 10%. Ces chiffrent ne bougent pas beaucoup en dépit des efforts. J’ai signé à deux reprises des conventions gouvernementales pour booster ce chiffre mais les choses sont compliquées.

Expliquez-nous pourquoi.

Il ressort des études qu’il y a trois freins majeurs à cela. Tout d’abord, les femmes réseautent moins que les hommes. Elles utilisent les réseaux comme des lieux de convivialité et de rencontre, mais pas comme des lieux de business. Ensuite, les femmes aiment maitriser les situations, elles peuvent de fait s’enfermer dans l’opérationnel. Elles ne délèguent pas beaucoup, s’associent peu et ne se mettent pas en situation de prendre de la hauteur stratégique pour développer et aller plus loin. Enfin, elles souhaitent souvent garder la maitrise financière, et ont moins recours aux levées de fonds, à l’ouverture du capital, etc.

Osez, osez, osez, osez ! Il faut oser franchir le pas. Les femmes ne sont pas moins capables, elles n’ont pas moins d’idées. Il n’y a aucune raison de ne pas faire changer les choses.

Mais ces freins seraient juste psychologiques ? Ne croyez-vous pas qu’il existe une réalité, que l’on prête moins aux femmes ? 

Je suis d’accord avec vous, il y a des biais des 2 cotés. Elles sont d’une part, bien moins nombreuses que les hommes à demander, mais lorsqu’elles demandent, elles demandent aussi beaucoup moins ! Ce qui peut parfois être interprété comme un manque d’ambition, de vision. D’ailleurs nous avons formé des chargées d’affaires dédiées à l’entrepreneuriat féminin. Dans le cadre d’une convention signée l’an dernier avec Marlène Schiappa, j’ai engagé une enveloppe de 2 milliards d’euros autour de l’entrepreneuriat féminin. Je l’ai fait savoir car je suis convaincue maintenant qu’il faut donner des signaux forts pour changer les choses.

Que faut-il dire aux femmes pour qu’elles entreprennent plus ?

Osez, osez, osez, osez !

Quatre fois ?

Oui et même plus ! (rires) Il faut oser franchir le pas. Les femmes ne sont pas moins capables, elles n’ont pas moins d’idées. Il n’y a aucune raison de ne pas faire changer les choses.

Je crois que vous terminez votre mandat dans quelques semaines. Comment envisagez-vous l’avenir ? Ces sujets vont-ils prendre plus de place ?

Oui, je vais passer le relais en fin d’année à une femme, qui a 20 ans de moins de moi. Je trouve cela à la fois formidable et très symbolique. Je suis très fière que cela se passe dans ces conditions. Je demeure bien sûr au comité exécutif de BNP Paribas où je vais m’impliquer encore plus sur les sujets d’accompagnement et de croissance des entreprises, thème très important pour le groupe. Je le fais avec une notion d’engagement très forte. Je suis convaincue que les états n’ont pas les moyens de traiter tous les sujets mais que l’ensemble des acteurs ont un rôle à jouer pour transformer la société, faire avancer les questions liées à l’emploi ou à l’économie durable.

La politique, vous y pensez ?

À l’exercice politique, non. En revanche, je crois beaucoup à la pédagogie. Il faut expliquer les choses. Comment une économie permet aux populations de vivre de manière plus inclusive, plus harmonieuse, avec moins de fractures. Tout cela me passionne. Je crois fondamentalement que chacun doit jouer un rôle.

Interview réalisée par Marianne Ripp.

Photographies : Marion Leflour.

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