Dans Conversations

Nadège WINTER : Le sens de l’époque

 

Tendanceuse, raconteuse, storytelleuse, on ne présente plus Nadège Winter, cette fille d’aujourd’hui aussi créative qu’inspirante que les marques s’arrachent pour son sens inné de l’époque.

Directrice de la communication du Palais de Tokyo, puis du célèbre concept store Colette, consultante pour des marques de luxe (Hermès, Cartier, Burberry), des géants du textile (H&M, Nike) ou des labels plus confidentiels (Maison Standard), cette hyperactive connectée fabrique aussi ses propres histoires, des concepts innovants qui font bruisser la ville (Brunch Bazar, Green Kiss, Amish Boyish, Twenty).

Nous nous retrouvons sur la terrasse des bureaux qu’elle occupe chez ses amis de Be-Pôles, face aux tuyaux vibrants du Centre Pompidou, pour une conversation passionnante où il sera beaucoup question de liberté, de création, d’engagement. Rencontre avec la papesse du New Cool.

 

 


Les vacances sont terminées, comment vas-tu et comment se présente ta rentrée ?

Je vais bien, ce serait un comble de ne pas être au top au lendemain des vacances ! Je suis super sereine, j’ai beaucoup de projets en cours et un voyage à New York dans quelques jours. Ça, c’est toujours excitant.

Pour celles et ceux qui ne te connaissent pas, où es-tu née et où as-tu grandi ?

Je suis née à Saint-Maur, j’ai passé ma jeunesse et mon enfance dans ce coin-là. J’ai fait des études de droits, la première histoire étrange de ma vie. (rires)

Pourquoi étrange ?

Petite fille, je m’imaginais styliste de mode, ou travaillant dans la création, ou encore en grande sauveuse des dauphins, bref, quelque chose de très engagé ou de très créatif ! Mais j’étais une enfant sage et disciplinée, je ne voulais pas me faire remarquer et j’avais sans doute envie de rassurer mes parents. Au fond de moi, je voulais faire une école d’art, mais je me posais des questions de légitimité. Pourquoi une école d’art alors que je n’étais pas artiste ? J’avais bien sûr un manque de confiance en moi. Et puis mes parents, un peu angoissés, m’ont orienté vers le droit.

 

 

Ça t’a plu le droit ?

J’ai eu ma maîtrise avec mention, je me disais qu’une spécialisation en droit d’auteur me reconnecterait avec ma passion initiale. J’ai commencé un 3ème cycle, mais je n’avais aucune passion pour ce sujet, aucun intérêt. Je me demandais ce que je faisais là. J’ai décidé d’arrêter en me disant que j’allais m’assumer. J’ai envoyé plein de CV dans des maisons de disques, des productions de films et tout s’est enchaîné. J’ai fait mon premier stage chez Delabel, le label d’Iam à l’époque. Ça s’est très bien passé. Ma boss, Laurence Touitou, sœur de Jean Touitou (APC), voulait me garder et a créé pour moi un poste de chef de projet international. Ça semble fou mais ça se passait comme ça à l’époque !

Mon stage se passait bien. Ma boss, Laurence Touitou, sœur de Jean Touitou (APC), voulait me garder et a
créé pour moi un poste de chef de projet international. Ça semble fou mais ça se passait comme ça à l’époque !

 

Un poste sur mesure ?

Oui, un poste marketing à l’international. C’était il y a 25 ans et j’ai tout appris sur le tas. J’ai passé cinq années ultra enrichissantes là-bas. Mais plus j’avançais, plus j’étais rattrapée par l’envie d’image, de création, l’envie de raconter des histoires. Le secteur de la musique changeait, tout devenait plus « quanti ». Il y avait moins d’argent, moins de projets, et des HEC partout !

Alors, tu prends ton téléphone et tu vas de l’avant.

Je suis allée voir Georges Bermann qui dirigeait et dirige toujours Partizan Midi-Minuit, la société qui produisait, entre autres, Michel Gondry, les clips des Daft Punk, d’Iam etc. Il m’a dit « bingo » et m’a engagée comme directrice de production. J’ai sauté dans le vide, je disais « je maîtrise », mais je n’y connaissais rien ! J’ai réappris un métier de A à Z. Mais là encore, j’ai réalisé qu’on attendait de moi la même chose qu’avant : mettre des chiffres dans des cases. J’étais toujours assez loin de l’image et de la création. En fait, j’ai réalisé à ce moment que je voulais faire exploser les lignes.

 

 

D’où te vient cette énergie, cette volonté de pousser les bordures du cadre pour construire ta propre voie ?

Je n’arrive pas à me calmer avec ça et d’ailleurs, je ne suis pas certaine que ça me convienne toujours ! Il y a une forme de tension, oui, tout le temps. J’associe cette énergie, qui peut aussi se transformer en stress, à l’activité de free-lance. Quand tu n’es pas salarié, pas encadré, tu fabriques tes succès, tes échecs, tes projets, tes vides et tes trop pleins. Moi, dès que je suis dans un creux, ça crée de grandes angoisses, l’impression de ne plus exister.

Dans ces moments-là, tu es incroyablement proactive, tu multiplies les rencontres, tu lances des projets …

Tout le temps. Je n’ai jamais imaginé de plan de carrière vertical. Pourtant, il y a une forme de méthode dans mon approche, un pattern qui revient sans que j’en ai réellement conscience. J’appelle les gens, on se voit, on discute. Et les choses se connectent toujours. En échangeant, les idées me viennent, les impulsions de création se déclenchent. Moi, je suis seule. Je n’ai pas d’assistant ni pour créer, ni pour démarcher. Je suis un vrai couteau suisse mais j’adore ça ! Parfois, j’interviens seule sur des projets, mais j’ai aussi la capacité de monter des teams de 20 personnes s’il le faut !

Tu travailles aujourd’hui pour de nombreuses marques, du luxe à la grande distribution, en passant par des marques de niche. Pour quel type de mission te sollicite-t-on ?

Les sujets et les niveaux d’intervention sont très différents. Il y a les marques qui souhaitent se relancer, se repenser, réécrire leur histoire. Là, je peux travailler en équipe avec un planneur stratégique et des créatifs. Mais on peut aussi m’appeler pour imaginer un événement unique, un beau concept de fête. Je travaille sur du développement produit, des collections capsules. Ou encore, des concepts digitaux où je suis à la fois conceptrice, productrice de l’image et directrice de création.

 

 

Pourquoi les marques font-elles appel à toi plutôt qu’à une agence ?

Certaines marques ne viennent pas justement parce que je ne suis pas une agence ! Elles ont besoin d’être rassurées par un staff, de grosses équipes etc. Celles qui m’appellent ont besoin d’un rapport plus personnel, elles recherchent du sur-mesure. Elles ont besoin d’une relation d’échange et de complicité. Ce qui est fou, c’est que cette approche parle aux petites comme aux grandes marques.

De mon point de vue, on le constate chaque jour chez WCP, ça correspond à un mouvement de fond. Bien sûr, les marques auront toujours besoin de grosses agences, mais certains sujets demandent de la délicatesse, une compréhension ultra fine de ce qui se passe dans la vraie vie des gens, de leurs attentes, de leurs envies…

C’est exactement ça. Les marques recherchent un regard nouveau, une expérience. Elles veulent du sens, du fond, du durable, de l’engagement. Si je dois écrire pour Hermès un événement sur la soie par exemple, la marque est légitime, toute la matière est là. Je ne fabrique alors qu’un petit bout d’histoire avec elle. Mais parfois, tout est à inventer. Globalement, les marques qui m’appellent ont compris qui j’étais et savent ce que je peux leur apporter : un regard transversal et créatif, le fait de naviguer dans plusieurs univers. J’ai un pied dans leur maison, un autre dehors. Je n’arrive jamais avec la posture « Moi je sais » que peuvent avoir les grosses agences. Je ne leur impose rien, je leur chuchote à l’oreille ce qui se passe dehors, je leur propose que l’on découvre ensemble de petites routes parallèles.

Quand on lui demandait ce que je faisais, un ami de l’époque disait toujours: « Nadège, elle est géniale, tu mets un bouchon de champagne sur la table et elle va t’en faire un truc énorme ! ».

Avec tout ça, tu dis que tu fais quoi dans la vie ?

C’est le grand sujet ! (rires). Aujourd’hui, il faut tout brander. En vrai, je raconte des histoires. Une fête, un magazine, des films, un produit, ce sont des histoires. Un ami de l’époque disait toujours: « Nadège, elle est géniale, tu mets un bouchon de champagne sur la table et elle va t’en faire un truc énorme ! ».

 

 

La création est au cœur de ton activité. Comment tu gères ça ?

Il y a des périodes où je bosse beaucoup, et d’autres plus calmes. Je sais déconnecter complètement. C’est un mode de vie, de fonctionnement. Mais je travaille tout le temps, sans m’en apercevoir : j’écoute, je regarde, je repère, je consigne. J’ai des projets pour lesquels j’ai du temps et d’autres pour lesquels j’ai trois jours pour délivrer. Les démarrages sont souvent douloureux : c’est l’angoisse de la page blanche. Je vais repousser au maximum, vider trois fois le placard à gâteaux, faire tout passer avant ! (rires) Et puis, quand je suis acculée, les connexions se font… Parce qu’en fait, mon cerveau n’a pas cessé de travailler, sans que je m’en rende compte. Je m’appuie bien sûr aussi sur l’histoire des marques qui est le plus précieux des terreaux. Comme un géologue, je vais puiser dans cette matière première. Et les choses se décantent.

Ce qui te caractérise particulièrement, c’est qu’en parallèle de tes missions auprès des marques, tu crées beaucoup de choses, tu montes des projets personnels forts dont… tes propres marques.

Oui, ça me définit complètement ! C’est ce qui m’excite. Je ne suis pas que dans l’idée. Je suis animée par des envies, des désirs profonds. Mais je dois absolument faire. Les idées peuvent mûrir des années. Pour Amish Boyish, le concept était écrit depuis huit ans. Une marque de vêtements réversibles, masculins et féminins, chics et street à la fois. Et puis c’est revenu brutalement, et je me suis dit, il faut que je le fasse. Tous mes projets naissent comme ça.

Soit, option A, j’attendais que les marques bougent pour me lancer, soit, option B, je me lançais et je faisais exister l’histoire. Moi, je choisis toujours l’option B.

La fabrication est pour toi nécessaire ?

Complètement. Des idées, tout le monde en a. Moi, j’ai besoin de fabriquer. Je veux que ça naisse, que ça vive. C’est ma force. Brunch Bazar, c’était à l’origine l’idée d’un free market urbain, transgénérationnel, avec une identité forte autour du développement durable. Soit, option A, j’attendais que les marques bougent pour me lancer, soit, option B, je me lançais et je faisais exister l’histoire. J’ai rassemblé dix collectifs de créatifs. J’ai pris tous les risques, y compris financiers. Et le Brunch Bazar est devenu une super marque rassemblant jusqu’à 10 000 personnes. Bien sûr, les partenaires sont arrivés. Moi, je choisis toujours l’option B.

 

 

Et parfois, les projets ne durent pas.

Oui, c’est vrai, les projets n’ont pas toujours été pérennes. Je lance, je n’exploite pas forcément les concepts sur le long terme. Je n’avance pas avec mon petit business plan sous le bras! L’idée, c’est de fabriquer des choses et cet aspect de mon parcours nourrit beaucoup mon job de consultante. On vient aussi me chercher pour ça, parce qu’on sait que je sais mettre en œuvre.

Tu ne parles jamais d’échec ?

Quand une aventure s’arrête, je n’ai jamais aucun regret. Je sais que j’ai été au bout de quelque chose. Il faut savoir écrire les histoires mais aussi les arrêter. Le mot échec, je ne le prononce jamais. Si quelque chose s’arrête, ce n’est pas un échec. Mon échec à moi, ce serait qu’un projet dont j’avais tellement envie n’existe pas.

Quand une aventure s’arrête, je n’ai jamais aucun regret. Je sais que j’ai été au bout de quelque chose. Il faut savoir écrire les histoires mais aussi les arrêter. Le mot échec, je ne le prononce jamais.

Tu t’es souvent associée durant ta carrière. C’est une étape qui fait peur, je l’entends souvent autour de moi. Avec ton expérience, as-tu des conseils à partager sur ce sujet, des points de vigilance, des pièges à éviter ?

Très souvent, je monte un collectif autour de moi. Dans ce cas de figure, je suis chef d’orchestre et je maîtrise tout. Mais tu as raison, je me suis aussi souvent associée, y compris financièrement. Chez moi, ça fonctionne toujours au cœur, à l’instinct, mais aussi et surtout à la complémentarité. On peut bosser avec tout le monde, son mec, ses potes, des quasi inconnus. Ce qui est vital, c’est de définir les territoires de chacun. Dans nos aventures, il y a toujours des egos qui s’affrontent, qui se cognent, et c’est normal quand on rassemble des personnalités fortes. Fabriquer une histoire la plus complémentaire possible, c’est pour moi l’essentiel.

 

 

On l’a compris, tu es plus créative que commerciale. Pour autant, tu n’hésites pas à prospecter, à proposer.

Il faut oser aller vers les gens. Moi, quand quelqu’un me plait, je l’appelle. Quand j’ai une idée pour une marque, j’écris le projet et je le lui envoie. J’investis et je donne. La réalité est que ça se transforme très souvent en business. Quand il y a de la sincérité, du sens, de la matière grise, de la générosité, des convictions, ça se voit, ça se ressent. Il n’y a que ceux qui en ont peu qui sont avares de leurs idées !

Il faut oser aller vers les gens. Moi, quand quelqu’un me plait, je l’appelle. Quand j’ai une idée pour une marque, j’écris le projet et je le lui envoie. J’investis et je donne. Il n’y a que ceux qui en ont peu qui sont avares de leurs idées!

Que peut-on te souhaiter pour demain ?

L’envie de pérenniser certaines histoires est plus forte aujourd’hui. Je suis souvent chassée par des marques. Chaque fois, l’idée me séduit, fabriquer de la longévité, s’inscrire dans quelque chose de stable. Et puis très vite, je m’aperçois que c’est impossible parce qu’au fond, ce n’est pas moi. Pour autant, ce qui m’excitait avant, bouger tout le temps, passer d’un projet à l’autre, m’amuse moins aujourd’hui. C’est peut-être lié à l’âge ou à 15 ans de travail en cavalier seul ! (rires) Je ressens le besoin de me poser, de prendre le temps de creuser les sujets et surtout, de travailler en équipe : l’échange, la construction collective, le partage, c’est ça qui m’anime. M’associer, j’y pense. Parce que je veux aller plus loin, apprendre encore plus de choses, mettre en œuvre des projets plus ambitieux. Il y a encore tellement à faire !

 

Pour contacter Nadège, c’est ici.

Interview réalisée par Marianne Ripp.

Photographies : Marion Leflour.

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