Le feuilleton des transferts a rythmé notre été et la reprise du championnat sonne aujourd’hui l’heure de la rentrée. Le timing est donc parfait pour rencontrer Nathalie Boy de la Tour, la patronne de la Ligue de Football Professionnel, première femme à occuper ce poste aussi stratégique que politique. Un job sous haute pression qui n’effraie pas cette battante rompue aux nouveaux challenges. Nathalie Boy de la Tour s’expose peu. Son physique délicat et racé s’oppose à un parcours volontaire, exigeant, et à une philosophie de vie résolument singulière. Rencontre avec une femme lumineuse.
Nous sommes au siège de la Ligue de Football Professionnel dont vous êtes devenue Présidente en Novembre 2016. Pouvez-vous nous présenter la Ligue et nous parler de votre mission ?
La LFP est l’instance qui règlemente le football professionnel en France. Nous avons pour mission principale l’organisation des compétitions de football professionnel en France à savoir la Ligue 1 Conforama, la Domino’s Ligue 2 et la Coupe de la Ligue. Nous sommes également en charge de la négociation des droits télévisuels. Ma volonté est d’essayer de préserver et de poursuivre cette mission en essayant notamment d’aider d’avantage les clubs à se développer. La marge de progression est forte ! N’oublions pas qu’avec plus de 800 matchs organisés par an, le football professionnel est le premier organisateur de spectacle vivant en France.
On vous connait peu. Où avez-vous grandi et quelles études avez-vous faites ?
J’ai grandi en région parisienne à Chavenay, dans une famille unie et préservée. J’ai toujours été bonne élève et à l’heure du choix d’orientation, je me suis retrouvée face a deux options : intégrer médecine ou m’orienter vers des études de commerce, plus généralistes et plus ouvertes. J’ai intégré une grande école de commerce, afin de pouvoir être indépendante le plus tôt possible. C’était à cette époque mon objectif principal.
J’ai intégré une grande école de commerce afin de pouvoir être indépendante le plus tôt possible. C’était mon objectif principal.
Parlez- nous des différentes étapes de votre parcours ? Vous démarrez dans le conseil.
La voie du conseil était logique car c’était celle qui me fermait le moins de portes. Je ne voulais pas faire de choix trop structurants et je voulais apprendre. J’ai adoré mes 10 années passées chez Bossard. Les missions très variées, les équipes et les profils différents ont aiguisé ma volonté d’ouvrir de nouveaux chemins. Le conseil, ça prépare à l’inconnu, ça développe l’adaptabilité. Aucun sujet ne vous résiste ! Et de fil en aiguille, j’ai reçu une très belle proposition: la direction d’une agence de conseil digitale.
Une expérience nouvelle ?
Oui car je faisais mes premiers pas dans le management, avec une centaine de personnes sous ma responsabilité. J’ai été mise face aux vrais problèmes pour la première fois, notamment à travers la réalisation de plans sociaux. Là encore, j’ai beaucoup appris.
Et votre souhait d’entreprendre vous rattrape…
Oui. Grâce à une rencontre inattendue, j’ai opéré mes premiers pas dans le football en lançant Galaxy Foot, le premier salon dédié au football. A l’époque, il existait des salons pour tout, sauf pour le foot qui est tout de même le premier sport mondial et français. Je me suis lancée avec une petite équipe. C’était il y a 14 ans.
Nous les femmes nous nous mettons beaucoup de barrières. On se demande sans cesse « Et si je me plantais ? ». Je pense que ce n’est pas très grave dans la vie de se planter.
A ce stade, vous avez déjà derrière vous trois histoires professionnelles dans des milieux très différents. Comment vivez-vous les périodes de changement ?
Le changement est une dynamique, une façon d’appréhender la vie sans regrets. Nous les femmes, nous nous mettons beaucoup de barrières. On se demande sans cesse « Et si je me plantais ? ». Je pense que ce n’est pas très grave dans la vie de se planter. L’important c’est d’être heureux sur des projets et avec des gens que l’on apprécie.
Il faudrait donc suivre son intuition ?
Je n’ai jamais eu de plan de carrière précis, j’ai toujours cherché la voie qui me laissait le plus de liberté. Je ne suis pas née passionnée de football, et plus jeune je n’aurais jamais pensé me retrouver à travailler dans ce secteur. Néanmoins j’ai toujours été très curieuse. Je fonctionne beaucoup par projets et je fais confiance à mon instinct.
Diriez-vous que ce sont les missions qui vous font avancer ou plutôt les hommes ?
Les deux. Chaque fois, c’est la rencontre d’un projet et de personnes. Cela a été le cas pour le Salon du Football, puis pour la Fondation du Football que j’ai créée aux côtés de Philippe Seguin. C’est là que j’ai réellement compris l’importance sociale, économique et médiatique du football. J’ai développé cette fondation durant 8 ans, à la suite de quoi on m’a proposé d’intégrer le conseil d’administration de la Ligue. Les choses s’enchaînent logiquement lorsqu’on y croit et que l’on se donne à fond.
Il faut rester fidèle à ce que l’on est et ne pas se trahir. Je n’ai pas besoin d’endosser de costume.
Vous êtes la première femme à présider la Ligue de Football Professionnel. On imagine le milieu du foot très macho avec des présidents de clubs forts en gueule…
Que ce soit dans le conseil ou dans la communication, j’ai toujours évolué dans un monde masculin. Le milieu du football n’est pas misogyne, c’est un milieu d’égos. Il faut donc savoir les gérer ! Mais n’oublions pas la pression considérable à laquelle sont confrontés les dirigeants de clubs : toutes les semaines, on se remet en cause sportivement et économiquement. La Ligue a donc aussi un rôle politique de conciliation de ces enjeux.
Comment y avez-vous trouvé vos marques et réussi à imposer un style ?
Il est un peu tôt pour parler de style, mais j’aime prendre le contre courant de ce qui se faisait précédemment. Je ne me surexpose pas dans les médias et je préfère construire des bases solides. Je suis convaincue qu’en matière de management, il faut rester fidèle à ce que l’on est et ne pas se trahir. C’est assez féminin comme point de vue. Je n’ai pas besoin d’endosser de costume, il faut faire les choses telles qu’on les sent. Aujourd’hui c’est vrai, j’incarne quelque chose, car je suis la première femme à occuper ce poste. J’en suis très heureuse mais cela ne me change pas et je continue à avancer librement.
Le message important est que l’on peut accéder à des fonctions visibles, avec des responsabilités, sans perdre de vue ce que l’on est.
C’est un message fort à l’égard des femmes qui managent.
C’est une chose qu’on apprend avec l’âge, car j’avais beaucoup moins de lâcher prise étant plus jeune. Il faut prendre de la distance vis-à-vis de la critique et des relations en entreprise. Je pense que les femmes ont plus de problèmes avec cet aspect-là. Le message important est que l’on peut accéder à des fonctions visibles, avec des responsabilités, sans perdre de vue ce que l’on est.
Existe-t-il un mode de management féminin ?
Oui, mais il n’appartient pas qu’aux femmes ! Etre plus sensible et à l’écoute des autres. On passe tellement de temps dans l’entreprise que je serais malheureuse de voir que les gens ne s’y épanouissent pas. Il faut toujours accorder à chacun une confiance et un espace de liberté qui permet de bien travailler. Je suis totalement opposée aux modèles de présence à heure fixe et aux cadres ultra rigides : dès lors que le travail est fait, je suis satisfaite.
Vous menez une carrière épanouie. Avez-vous le sentiment en tant que femme d’avoir eu plus à prouver pour réussir ?
C’est vrai qu’on est obligées de faire nos preuves. Très tôt, on nous colle une étiquette de bonne élève dont il n’est pas facile de se débarrasser. Les femmes sont plus consciencieuses au démarrage de leur carrière. Pour émerger, il faut compenser par plus de travail, ce qui peut être difficile, à l’âge où l’on pense aussi à avoir des enfants. Je suis heureuse d’avoir l’âge que j’ai. C’est bien plus facile à presque 50 ans qu’à la trentaine, qui est une période très compliquée pour les femmes.
Je suis heureuse d’avoir l’âge que j’ai. C’est bien plus facile à 50 ans qu’à la trentaine, qui est une période très compliquée pour les femmes.
Vous travaillez beaucoup. C’est un plaisir, un besoin, une addiction ?
Travailler c’est surtout du plaisir, des valeurs, et c’est important de le montrer, spécialement quand on a des enfants. On grandit en travaillant.
Parlons justement des enfants. Vous avez deux garçons et vous faites partie de ces femmes qui sont parvenues à avancer professionnellement tout en étant présente malgré tout à la maison.
Ça a été compliqué autour de la trentaine et jusqu’à 40 ans. En m’impliquant dans la Fondation du Football, je pensais faussement que ce type de structure me mettrait moins de pression. J’ai demandé un 4/5, non pas pour travailler en 4/5ème (ce que je n’ai jamais fait) mais pour avoir la liberté intellectuelle de me dire que si j’avais un problème, je pourrais le gérer sur ce temps. Mes enfants ont maintenant 10 et 20 ans et quand je parle avec mon aîné, il me dit que j’ai toujours été là quand il en avait besoin.
Un message très déculpabilisant donc.
Il faut dire aux femmes qu’il est important de savoir lâcher leurs enfants. Nos enfants, il faut simplement essayer de les préparer au monde qui est le nôtre. On parlait de changements plus tôt : leurs carrières n’auront rien à voir avec les nôtres, ils changeront plusieurs fois d’entreprise mais aussi plusieurs fois de métier ! Nous ne connaissons pas les métiers de demain. Il faut donc avant tout encourager la curiosité, leur transmettre de la confiance et un certain courage pour la remise en cause.
Je suis évidemment sensible à la cause des femmes, mais je ne suis pas féministe et encore moins militante. Je crois beaucoup en la bienveillance.
Etes-vous engagée sur les questions de parité dans l’entreprise ?
Je suis évidemment sensible à la cause des femmes, mais je ne suis pas féministe et encore moins militante. Je crois beaucoup en la bienveillance. C’est en étant à l’écoute, en changeant de petites choses qu’on y arrivera. Je n’aime pas les quotas. Si c’est obligatoire pour arriver à une égalité, alors soit… Mais ce qui me tient à cœur, c’est par exemple, la possibilité de gérer une famille et un travail en même temps. Il y a de plus en plus d’hommes qui s’impliquent totalement dans leur vie familiale. Il faut les accompagner et ajuster les rythmes. C’est dans cette attention de tous les jours que je crois.
Comment décompressez-vous au quotidien ?
Je vous mentirais si je vous disais que je décroche totalement en rentrant chez moi. J’ai appris à gérer l’intrusion du travail dans la sphère privée. J’ai aussi appris à me ressourcer vite, sur des périodes assez courtes. Le yoga m’aide beaucoup !
Où vous voyez-vous dans 10 ans ?
Je suis incapable de répondre à cette question et à vrai dire, je ne le souhaite pas. La maladie de mon mari, dont je parle tout à fait librement, a été un révélateur et en quelque sorte un mal pour un bien. Elle a révélé chez nous une vraie philosophie de vie. Il faut vivre du mieux possible le moment présent, sans trop de projections.
Justement, avez-vous un mantra qui vous accompagne ?
Have fun ! Aimer ce qu’on fait, et y trouver de la joie.
Interview réalisée par Marianne Ripp
Photographies de Marion Leflour
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